Le sport, la gloire, la vie, la mort

Memento, homo, quia pulvis es, et in púlverem revertéris

Genèse 3.19

Viens. Transpire. Suffoque. Expire de ton râle désespéré. Effondre-toi. Capte donc quelques epsilonesques particules d’oxygène ; elles se frayeront un chemin dans le mucus qui déborde déjà sur ton menton salé de sueur.

Et tu commences alors à sourire, à sentir ton corps déborder de chaleur, brûlant de vie dans ton ataraxie puante. C’est difficile mais tu t’abandonnes complètement à la tâche. Peut-être, au bout, le Salut.

Dans cet océan de doutes, d’incertitudes, de craintes et d’angoisses…mêlé à tant d’amour, d’espérances et d’extase, le sportif est comme un vieux poulpe qui se démène ambitieusement pour terminer desséché sur quelque plage d’une station balnéaire de la côte d’Azur, pitoyablement arrosé de pisse par des gamins de huit ans qui cherchent à passer le temps

Nous expérimentons très rapidement notre finitude charnelle. Certains l’expérimentent dès la naissance, même.

Tous nos efforts physiques et intellectuels, tous les sacrifices…maintenir à flot l’édifice précaire de l’existence, tant bien que mal, au milieu des pustules, des psoriasis, des Charcots, des cancers, des hommes et des machines…

« Dépasser ses limites », « viser la Lune », « atteindre les étoiles »…tant de slogans qui excitent en nous cette soif d’écraser la gravité, de s’affranchir des lois de ce Monde, de subjuguer cet appesantissement qui nous rend si vulnérables depuis tellement de millénaires. Tant de slogans qui rappellent, dans le même temps, ce fou décrit par Chesterton, « ce poète ivrogne dont [on a] refusé une sinistre tragédie ».

Nous souffrons pour être impassibles. Nous nous détruisons pour être immortels. Nous cherchons à savoir, toujours, toujours plus : des études, des remises en question, des vidéos, des formations…Nous ordonnons nos passions à la volonté. Notre volonté à l’intelligence. Une intégrité qui n’a pas à rougir face à l’idéal de l’ascétisme monastique.

Nous rachetons nos dons préternaturels avec de la monnaie de singe. Un orang-outang qui fait des tractions à un bras.

Quel est donc le but de cette apparente diatribe ?

Celui qui l’écrit n’est-il pas lui-même assujetti à tous les poncifs illustrés ci-dessus ?

Bien évidemment que oui ! Et je le suis certainement à un point si avancé qu’il confine à la pathologie mentale !

Comme tout être humain, je me conjugue à l’infini. L’infinie grandeur de la réussite et de la gloire et l’infini des plis, toujours plus petits, qui nous délivrent tous les détails de la connaissance. Encore et encore…

Je n’ai pas arrêté de jouer de la guitare après avoir appris le riff de « smells like teen spirit » et je n’ai pas arrêté la musculation après avoir validé 100 kilos au développé couché. Et pourtant, quel Graal cela pouvait représenter !

Si tel n’était pas le cas, il ne serait peut-être pas inhabituel de se suicider dans une sereine félicité, une fois l’objet de nos passions satisfait !

Il n’est a priori pas contre nature de creuser un sujet qui nous passionne jusqu’à ses limites inconnaissables.

L’éducateur sportif, l’entraineur, le préparateur physique et tants d’autres acteurs du sport ont choisi d’utiliser un intellect incorruptible (dans le sens ou le surcharger à l’infini ne le corrompt pas) pour étudier voire contempler un corps qui, lui, l’est logiquement (j’ai senti une douleur au genou lors d’un squat à 700 kilos).

Face à l’étendu de la Voie Lactée, il n’y a pas de différence de grandeur entre, mettons, Teddy Riner et Tex. Autrement dit, tout objet limité se retrouve au même niveau que tout autre objet limité face à l’illimité : relatif parmi les relatifs, pucerons devant l’Absolu.

Cependant, le corps du physiologiste est-il semblable au timbre du philatéliste ? Un intérêt considéré comme personnel et relatif ?

Je ne le pense pas, bien entendu ! Un homme sans corps est plus difficilement envisageable qu’un homme sans timbre.

De plus, nous ne définissons pas le corps comme un simple objet de jouissance subordonné aux diktats d’une certaine idéologie du désir (c’est effectivement une dérive courante, ou un courant dérivé, suivant le niveau de bienveillance); mais comme la composante essentielle de notre être qui permet de connaître et de faire connaître. D’être ce que nous sommes.

Le premier écueil, illustré au début de ce texte, serait de le considérer comme un Absolu et de lui offrir en sacrifice tous ses tourments.

Le deuxième serait de le mépriser, reléguant ceux qui s’en occupent soigneusement au rang ô combien infamant de quelque vaniteux métrosexuel, pourceau d’une société du tertiaire qui a perdu toute notion de la réalité, etc.

Je te demande donc à toi, connu ou inconnu, de considérer l’exercice physique ou le « sport » en tant qu’outil, en tant qu’aide, en tant qu’Art, peut-être…pour soi, pour les autres, pour le Beau aussi.

Je te demande de ne jamais oublier que le sport se met à genoux pour te faire la courte échelle afin que tu voies par-delà ce mur qui te bouchais peut-être un peu l’horizon ; mais que tu risques, sur le chemin, de vouloir te mettre à genoux pour lui, à ton tour, et qu’il deviendra dès lors lui-même cette barrière de parpaing grise et opaque.

Tu ne seras pas pressé car, tu l’as vu, nous sommes tous aussi petits dans l’infiniment petit.

Et tu ne seras pas orgueilleux car tu es poussière, et tu retourneras en poussière.

H.Rei

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